Garde montée

— Jeanne Graff

Prends ta valise à roulettes pour porter plus de choses pour faire les courses, une heure à pied aller-retour, tu passes dans le magasin bio comme une fusée, les caissières sont sous plastique, on est passé dans un autre monde. Quand il pleut tu peux sortir, j’ai des lingettes désinfectantes, t’arrives, tu désinfectes ton banc, tu te poses, une femme s’est approchée, je reculais, elle avançait et j’osais pas lui dire qu’elle devait garder au moins deux mètres elle avait l’air terrorisée la pauvre, le chat fait tout le tour de la maison par la gouttière, ça fait un peu de compagnie, des énormes corbeaux dans la rue qui viennent manger les poubelles, le grand fait le guet pendant que l’autre mange, j’ai enfin croisé quelqu’un que je connais, on a fait du troc timbres contre masques – avec une casquette des lunettes et un masque tu reconnais pas les gens – notre vie a changé, je me suis engueulée avec la dame du dernier café fenêtre ouvert ce matin à New York maintenant je regrette, je suis partie en vrille, elle est partie en vrille, aussi la vie des Parisiens, c’est de trouver des cartouches d’encre, à cause des attestations, avec l’attestation tu attestes en permanence ce que tu es en train de faire, on avait pas prévu qu’on allait rester enfermés, les gens n’ont pas de papier ni de cartouche, t’en trouves plus en ligne ou alors c’est très cher, ou alors ils lui ont vendu une cartouche pour une autre imprimante et il y a plein de gens qui travaillent pas, et elle s’est mise à hurler sur cette femme, il y a presque plus de magasins ouverts et ceux qui sont là sont stressés, ce matin ils ont fermé le dernier coffee shop à la fenêtre, on peut encore aller acheter des tacos à cette fenêtre, prends un vieil emballage de la maison pour les mettre dedans, le carton du gâteau d’avant le 15 mars il est safe, le 13 mars quelqu’un m’a demandé un rendez-vous : j’ai jamais répondu.

Mets les nouveaux paquets de pâtes dans les anciens paquets de pâtes, comme ça t’as pas de suremballage, uniquement ce qui entoure l’aliment, c’est la première fois que j’achète des trucs en verre, j’ai pas assez de contenant il faut que j’achète des bocaux pour mettre les choses comme ça rien de l’extérieur ne rentres à l’intérieur, quinoa, riz ça te permet de toujours avoir à manger chez toi en temps de confinement c’est pratique, c’est une bonne idée, et jeter tous les plastiques, pour n’avoir aucun emballage à l’intérieur, tout ce qui était à l’extérieur tu le remets direct à l’extérieur, l’endroit où je prends la café le matin a installé un stand de fruit : j’ai pris un pamplemousse, il est tombé par terre, un mec l’a ramassé et me l’a passé, là il prend un bain dans le lavabo, on l’a lavé avec une éponge, on l’a séché, moi et moi, à une température très chaude, puis il a eu le droit de réintégrer son étagère habituelle, Jim lave toutes ses courses au savon par exemple, tu rentres, tu laves tout, tu te déshabilles, laves tout ton corps, laves tes mains avant et après toucher, un masque de fleur ça sent bon, ici il y a une fleur la nuit et le jour d’après t’as une douzaine de roses des magnolias cet arbre il est tout rond et ici il y a des roses encore et encore un magnolia, des radis, des fraises, il est beau ton bureau, un concert de clavier et d’oiseaux, on fait des inhalations, on va lancer un business d’eau chaude, tu sais ce que j’ai vu ce matin ? Des chevaux, la garde montée rue Chapon, à la campagne on est libre de marcher dans la forêt bonne nouvelle, le café a de nouveau du goût, toutes ces odeurs d’un coup ça donne le vertige quand on sort les pigeons marchent sur nous on est à leur place maintenant au beau milieu de Paris c’est le paradis, un concert d’oiseaux et d’ambulances, oh no non elles ça va heureusement elles sont malades ensemble alors elles peuvent rester ensemble.